Génération Démission

Jérémy, Mathilde et Romain sont de parfaits jeunes cadres dynamiques. Passés par de grandes écoles, ils travaillent pour des multinationales ou des institutions internationales. Pourtant, peu à peu, le doute les envahit. Se sentant en contradiction avec leurs idéaux, ils décident de démissionner.

Jérémy a suivi un parcours d’excellence : après avoir obtenu son bac à quinze ans et demi, il entre en classe préparatoire au lycée Masséna à Nice, puis intègre l’Ecole nationale supérieure des mines de Saint-Etienne. Intéressé par la science des données et diplômé d’un master renommé de l’Université Pierre-et-Marie-Curie et de l’Ecole Polytechnique, Jérémy devient par la suite un analyste quantitatif, un ingénieur qui modélise les produits financiers et les stratégies dans les fonds d’investissements bancaires. Au terme de ses études, il est engagé chez HSBC, « la plus grosse banque monétaire d’Europe ». Pour lui, c’est la consécration. Mais, progressivement, Jérémy se sensibilise aux problématiques sociales, climatiques et écologiques, et se sent de plus en plus mal à l’aise dans son rôle de « jeune cadre dynamique parfait ». La disjonction entre ses convictions et la politique de la banque devient insoutenable.  

« HSBC avait décidé de faire la promotion du Centre de développement durable de HSBC, de « sustainable finance », de finance durable, et se présenter comme un des leaders de la finance verte. Il y a quelque chose qui ne me paraît pas net. Et c’est là que je vais me consacrer, jour et nuit, corps et âme, pendant plusieurs mois, à décortiquer la stratégie climatique et écologique de mon employeur, d’HSBC. » Jérémy

Fort de son rapport très fouillé et documenter, Jérémy décide d’interpeler ses supérieurs hiérarchiques pour changer les choses au sein de l’entreprise – mais cela ne suffit pas, et un jour, il craque…

Mathilde, vingt-neuf ans, a intégré l’Ecole de Management de Lyon (EM Lyon Business School), la quatrième école de commerce de France. D’abord déçue par le contenu de ses cours, elle est ensuite effarée par sa première expérience professionnelle dans l’entreprise agroalimentaire Kellogg’s. 

« Je me suis dit que je n’arriverais pas à faire miens les intérêts de l’entreprise. Il fallait que je mette mes connaissances non pas au service du marché, mais au service des autres. » Mathilde

La jeune cadre se tourne alors vers le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, où elle prend la tête de l’équipe de la « Global Fleet » (Flotte Mondiale), qui est en charge de gérer la flotte de camions du PAM. Elle pense alors trouver sa place dans cet organisme humanitaire, en accord avec ses valeurs, et où elle mène le projet « Greening the Fleet », « Rendre la flotte mondiale plus verte ». Mais rapidement, son chef tente de brider ses efforts et l’empêche de faire aboutir ses initiatives écologiques…

« Pendant longtemps, j’ai cru que je pouvais changer les choses de l’intérieur, qu’il fallait attendre de gravir les échelons, d’avoir du poids et de pouvoir exercer un rapport de force avec sa hiérarchie dans son travail. Et je me suis rendue compte que l’opposition de mon chef, c’était simplement le reflet de la politique dans laquelle étaient engagées les Nations unies. » Mathilde

Romain, vingt-huit ans, guidé par son goût pour les sciences dures et les mathématiques, devient ingénieur dans le cabinet de conseil Sia Partners. S’il est d’abord exalté et « grisé » par le monde de l’ingénierie, il commence à se « sentir de plus en plus seul » lors du mouvement des Gilets Jaunes, auquel il adhère en 2018. 

« Dans la boîte de conseil, on est tous sapés en costard, il y a BFM TV qui tourne en boucle à la cafet’. Chacun y va de son petit commentaire devant le live des gilets jaunes, les Porsche cramées. Les locaux de Sia Partners donnent sur les Champs-Elysées : on était la petite forteresse de consultants qui peuvent voir le grabuge du haut de la fenêtre et ricaner. » Romain 

Romain n’en peut plus. Il raconte comment il a décidé de claquer la porte… 

Merci à Jérémy, Mathilde, Romain et l’association Vous n’êtes pas seuls.

Reportage : Antoine Guirimand 

Réalisation : Clémence Gross